Le Parfum de l'exil
Pour nourrir cette réflexion sur le cycle et apprécier ces transitions, je te suggère de lire Le Parfum d’exil, un roman porteur d’un message fort et touchant qui fait voyager de Beyrouth à Paris.
Inspiré de l’histoire familiale de l’auteure, il rend hommage aux capacités de résilience et lève le voile sur des secrets et traumatismes, poids des transmissions porté de génération en génération dont le personnage principal souhaite enfin se libérer pour vivre sa vie en toute légèreté.
Extrait du roman Le Parfum de l'exil
« –Merci, soeur Emma!
Elle me prit dans ses bras, dans un élan maternel indescriptible, et me tint serrée contre elle. Ce fut mon tout premier contact chaleureux avec une religieuse. Cela me surprit, car aucune d’elle ne nous montrait jamais d’affection. Sœur Emma était bien plus jeune que toutes les autres religieuses qui nous dispensaient l’enseignement. Je levai la tête vers son visage pour détailler sa peau légèrement cuivrée, ses pommettes hautes, ses beaux yeux noirs et sa bouche charnue. Je l’imaginai les cheveux défaits, car ils étaient toujours recouverts par cette horrible coiffe blanche. Je perçus en elle une écorchure, et ne pus me retenir de lui poser la question qui me brûlait les lèvres.
–Vous êtes si belle! Vous n’avez pas un amoureux?
Je le regrettai aussitôt, car elle devint blême, et ses yeux ressemblèrent aux nuages précédant l’orage. Une pluie ruissela soudain sur son si beau visage. Je restai immobile, ne sachant que faire pour réparer l’horrible erreur que je venais de commettre. Elle fut bientôt secouée de sanglots, et son corps tout entier ploya sous la douleur. Puis elle se détacha de moi, essuya son visage maculé de larmes et remit de l’ordre dans ses cheveux.
–J’avais un amoureux… Il est mort, dit-elle.
Troublée, je ne trouvai rien à répondre, mais à partir de ce jour, elle me fut plus précieuse encore. Je ne pus chasser cet incident de mon esprit, car j’avais de la peine pour elle, enserrée dans une vie qui n’était pas la sienne.
« J’avais un amoureux… Il est mort. » Tout était donc fini? N’y avait-il pas un autre amoureux pour elle, quelque part?
Beaucoup de questions se chevauchaient dans mon esprit. Comme à l’accoutumée, quand cela se produisait, j’allais trouver grand-père dans son bureau. Une fois encore, je fus imprégnée par la magie de ce lieu. Il y régnait une atmosphère différente du reste de la maison, comme si les murs avaient absorbé chacune des requêtes qui avaientt été formulées au fil des ans.
–Peut-on retrouver en quelqu’un d’autre ce qu’on avait avec quelqu’un qui est mort?
Grand-père fut surpris par ma question et réfléchit longuement.
–On peut sûrement en vivre le prolongement. Rien ne s’arrête jamais, en réalité. Nous vivons des bribes de vie. Une fois mises bout-à-bout, elles créent une continuité.
J’insistai.
– Mais… peut-on encore aimer, quand celui qu’on aimait est mort?
Il posa sur moi, son regard captivant, serti d’un bleu éblouissant.
– L’amour ne meurt jamais. Il existe en lui-même, indépendamment de la personne sur laquelle il se porte. La mort est une mauvaise herbe. Elle envahit notre jardin. Il nous faut l’arracher, afin d’éviter qu’il ne contamine tout le jardin, et ne martyrise les fleurs et les arbres que nous regardons patiemment pousser. Il est un moment pour la tristesse, un moment pour la renaissance. Nous sommes une terre fertile. Si nous veillons à l’arroser chaque jour, elle donne de beaux fruits. Mais il arrive que la grêle s’abatte sur cette terre, et en gâte les fruits. Toute la difficulté est alors de ne pas se décourager, et de la laisser un moment reposer, avant de replanter les graines du lendemain. »